L’auteur est en 1940 un jeune ingénieur bardé de diplômes. Refusant la défaite, il rejoint Londres et intègre les services spéciaux de la France Libre. Il revient en France pour plusieurs missions, en particulier une action de renseignement au sein de la Confrérie Notre-Dame du colonel Rémy. Revenu en Angleterre, il apprend l’arrestation de plusieurs membres de sa famille. Il demande immédiatement à repartir pour une nouvelle mission. C’est au cours de celle-ci qu’il est dénoncé par un agent infiltré et arrêté. Dès lors le processus que connaît tout résistant est enclenché. Tortures, transferts, déportation.

Il arrive le 4 décembre 1943 à Buchenwald. Comme tous des agents spéciaux arrêtés, il est classifié Nacht und Nebel, Nuit et brouillard, c’est-à-dire qu’il doit disparaître. Avec ses camarades d’infortune, il est pris dans le système mis en place par les nazis. Système totalitaire s’il en est, dont le seul but, comme nous l’a enseigné Hanna Arendt, est la destruction de l’homme. Après des périodes d’abattement, le tempérament et la volonté de Pierre Julitte lui permettent, avec l’aide de quelques proches de commencer à enrayer la machine de production dans laquelle les nazis souhaitent les asservir jusqu’à la mort. Il apprend que la production assurée par l’usine de la Mibau, où il est affecté, est destinée à équiper les fusées V2 armes secrètes de la dernière chance du IIIe Reich. Durant des mois il cherche le moyen de faire parvenir l’information aux alliés afin qu’ils programment la destruction de l’usine. Il arrive finalement à faire passer un rapport complet par l’intermédiaire d’un travailleur libre. Le 24 août 1944, veille de la libération de Paris, les bombardiers alliés détruisent l’usine. Ce même jour, l’arbre de Goethe disparaît. Une légende veut que la disparition de cet arbre annonce la chute du régime nazi… Pierre Julitte est transféré à Dora puis Bergen-Belsen avant d’être libéré le 15 avril 1945 par les britanniques. Il précède ses camarades à Paris afin d’organiser un défilé des rescapés des camps sur les Champs Elysées. Après guerre il fait carrière dans l’administration et l’industrie. Il est Compagnon de la Libération.

Si Pierre Julitte choisit le roman pour évoquer son expérience à Buchenwald. Son récit n’en est pas moins très fort. Son livre relate des faits parfaitement exacts, décrits dans un rapport qu’il a rédigé, conservé aux archives nationales. Il décrit dans un style proche de celui de Primo Lévi dans son Si c’est un homme, l’entreprise de déshumanisation bâtie par les nazis. Buchenwald n’est pas un camp d’extermination, mais, ouvert en 1938, il est un des outils utilisés pour détruire les ennemis du Reich en Europe : opposants allemands, résistants de toutes nationalités et de toutes obédiences, « asociaux » de diverse nature, cette masse que gère l’usine de mort. L’auteur décrit de manière charnelle l’univers auquel il est confronté avec ses camarades : les rivalités nationales, les rivalités politiques, le froid, la boue, la faim, la crasse, la violence des gardes des kapos et des détenus entre eux. Mais il met également en relief la solidarité, parfois faite de petits riens, mais qui représente beaucoup quand tout manque. Il montre à quel point la volonté, de survivre, de résister peut permettre, malgré tout, de garder la dignité et le courage d’affronter la barbarie.

Primo Lévi avait coutume de dire que le camp avait été son université. Pierre Julitte nous livre ici un formidable message d’humanité et d’espoir.

Christian Penot