À propos du « Pierre Brossolette » d'Éric Roussel,
Par AG le mardi 9 août 2011, 21:34 - Nous avons lu - Lien permanent
Éric Roussel, Pierre
Brossolette, Fayard-Perrin, 347 p.
Tout le monde connaît le nom de Pierre Brossolette dont le patronyme
orne nombre de voies de nos villes. Mais connaissons-nous vraiment cet
homme d’exception ? Éric Roussel tente de combler ces lacunes dans son
nouvel ouvrage. Il nous fait découvrir les différentes facettes de sa
personnalité.
Ce fils de hussard de la République adhère au parti socialiste SFIO en 1929. Son engagement va beaucoup plus loin. Membre de la ligue des droits de l’homme, il est également initié à la franc-maçonnerie au sein de la Grande loge de France. Marqué par les récits de guerre des membres de sa famille et par les positions d’Aristide Briand, il adopte durant des années des positions pacifistes intransigeantes. Elles évoluent au cours de la deuxième moitié des années 30 face à la montée des périls et à la réalité du régime nazi. Parallèlement, il se montre très réservé voir hostile au régime soviétique et au parti communiste.
Sa position de chroniqueur le place en première ligne dès les
années 30. Là encore son intelligence remarquable en fait un homme
incontournable. Collaborant à de nombreuses publications qui défendent
des positions pacifistes comme lui, il évolue progressivement pour
devenir le chroniqueur de politique étrangère attitré du journal
socialiste Le Populaire
et de la radio nationale. C’est une voix écoutée et une plume remarquée.
Malgré cette vie bouillonnante, l’action de terrain l’attire. Son parti
l’envoi dans l’Aube pour tenter de structurer le mouvement sur une
terre de mission. Nombre d’hommes de son rang se seraient contentés de
reprendre une circonscription assurant une élection confortable. Il
relève le défit. Secrétaire de la fédération de son département
d’adoption, il est candidat SFIO lors des élections de 1936. Aux prises
avec les manœuvres des caciques radicaux locaux, il doit s’incliner. Il
reprend le chemin du journalisme qui en ces temps troublés ne manque
pas de sujet de débats. L’engagement reste son fil rouge. Ses écrits et
son verbe font merveille, mais le combat devient d’une dureté absolue.
Les évènements dramatiques qui se succèdent de 1936 à 1940
vont faire prendre un tournant définitif à la vie de Pierre
Brossolette. Officier de réserve il participe à la campagne de France
en 1940. Il échappe à la captivité et rentre à Paris. Son tempérament
ne peut que le pousser à condamner le nouveau régime. Très tôt il
cherche à trouver le chemin de la Résistance. Il s’engage au sein du réseau du Musée de l’homme,
nébuleuse qui regroupe de nombreux intellectuels et qui édite le
journal Résistance.
Brossolette en devient naturellement le principal rédacteur. Il échappe
à la chute du réseau et renoue les liens avec d’autres groupes avant de
rencontrer le colonel Rémy, homme orchestre de la Confrérie Notre Dame,
réseau de renseignement de la France Libre. Brossolette assure
l’animation du bureau de presse et de propagande. Le régime de Vichy
lui ayant interdit d’enseigner, il a acheté une librairie rue de la
Pompe dans le 16e
arrondissement de Paris. Mais l’étau se ressert de plus en plus autour
de la librairie. Après avoir mis sa famille en lieu sûr, Pierre
Brossolette décide en avril 1942 de rejoindre Londres. Il parvient à
ses fins dans des conditions rocambolesques.
Il s’impose rapidement comme l’une des pièces maîtresses de la France
Libre. Il est à la fois l’adjoint de Passy le chef du BCRA, un
pourvoyeur d’idées nouvelles et un chroniqueur régulier de la BBC (il
assure 38 interventions radiodiffusées). Son intervention lors de la
commémoration de l’appel du général de Gaulle à l’Albert Hall le 18
juin 1943 reste gravé dans les mémoires. Il développe en particulier
des idées très précises et nouvelles quant au retour des institutions
politiques démocratiques après guerre. Ce débat l’amène à mettre en
garde l’homme du 18 juin notamment dans un courrier qu’il lui adresse
en 1943. Mais, c’est surtout l’occasion d’un affrontement très dur avec
une autre pièce maîtresse de la France combattante : Jean
Moulin.
La confrontation porte sur la structuration de la Résistance
intérieure et la présence ou non des partis de la IIIe
République en leur sein. Ce qui oppose les deux hommes relève à la fois
du style et du fond. De Gaulle tranchera finalement en faveur de la
solution de Moulin. Cela n’empêche pas Brossolette d’apporter une
contribution déterminante à l’unification en zone nord. Il a d’ailleurs
encore fait le choix de l’action. À trois reprises il se fait
parachuter en France. C’est lors du retour de sa troisième mission
qu’il est pris un peu par hasard sur les côtes bretonnes. Identifié et
finalement transféré au siège parisien de la gestapo, il est violemment
torturé. Pour éviter de parler et échapper à ses geôliers, il se jette
par une fenêtre de l’immeuble où il est détenu et décède dans la soirée
du 22 mars 1944. Ainsi disparaît une des plus belles figures de la
Résistance française. Les photographies présentées par l’auteur montre
à quel point le combat a été rude. Le cheveux noir orné de sa mèche
blanche caractéristique a laissé place fin 1942 à une chevelure plus
sel que poivre. Le visage est marqué.
Dans cette biographie Eric Roussel dissèque de façon extrêmement
précise la vie de Pierre Brossolette sans en cacher certaine aspérités.
Son caractère parfois très abrupte lui a aliéné certaines amitiés. Mais
ce qui ressort de ce portrait, ce sont à la fois son intelligence
acérée, sa volonté sans faille, mais surtout sa lucidité et sa
fidélité. Il a avant tout les autres vu les conséquences de la non
intervention en Espagne, les conséquences des accords de Munich ou même
les limites des idées du Général de Gaulle. Mais, il est resté d’une
fidélité sans faille à Léon Blum et à l’homme du 18 juin. Il est
également resté fidèle à ses idées, fruits de longues réflexions et de
sa pratique, parfois en décalage avec le corpus de son parti, ce qui a
d’ailleurs amené à son exclusion. Mesure non appliquée en raison de sa
mort. Reste cette opposition entretenue entre deux ardents patriotes
Brossolette et Moulin, certainement complémentaires : l’un fougueux et
orateur, l’autre plus secret et pétri par l’organisation administrative
républicaine. Une question travaille le lecteur : Nul ne sait quelle
contribution auraient pu une nouvelle fois apporter ces deux êtres
d’exception à l’issu de la guerre…
Christian Penot