Élevé dans une famille de tradition laïque et républicaine, Pierre Brossolette se montre peu attiré par les études dans sa jeunesse. Un déclic se produit lors de ses études secondaires. Dès lors une volonté sans faille le porte au plus haut niveau. Il se révèle brillant. Son éloquence et son bouillonnement intellectuel font l’admiration de ses camarades. Cacique de sa promotion à l’École normale supérieure, il est deuxième (seulement) de l’agrégation d’histoire. Plus que l’enseignement le journalisme et les joutes intellectuelles l’attirent. L’engagement sera sa deuxième passion. Journalisme et politique seront ses deux chevaux de bataille jusqu’à la fin de sa vie.
Ce fils de hussard de la République adhère au parti socialiste SFIO en 1929. Son engagement va beaucoup plus loin. Membre de la ligue des droits de l’homme, il est également initié à la franc-maçonnerie au sein de la Grande loge de France. Marqué par les récits de guerre des membres de sa famille et par les positions d’Aristide Briand, il adopte durant des années des positions pacifistes intransigeantes. Elles évoluent au cours de la deuxième moitié des années 30 face à la montée des périls et à la réalité du régime nazi. Parallèlement, il se montre très réservé voir hostile au régime soviétique et au parti communiste.

Sa position de chroniqueur le place en première ligne dès les années 30. Là encore son intelligence remarquable en fait un homme incontournable. Collaborant à de nombreuses publications qui défendent des positions pacifistes comme lui, il évolue progressivement pour devenir le chroniqueur de politique étrangère attitré du journal socialiste Le Populaire et de la radio nationale. C’est une voix écoutée et une plume remarquée.
Malgré cette vie bouillonnante, l’action de terrain l’attire. Son parti l’envoi dans l’Aube pour tenter de structurer le mouvement sur une terre de mission. Nombre d’hommes de son rang se seraient contentés de reprendre une circonscription assurant une élection confortable. Il relève le défit. Secrétaire de la fédération de son département d’adoption, il est candidat SFIO lors des élections de 1936. Aux prises avec les manœuvres des caciques radicaux locaux, il doit s’incliner. Il reprend le chemin du journalisme qui en ces temps troublés ne manque pas de sujet de débats. L’engagement reste son fil rouge. Ses écrits et son verbe font merveille, mais le combat devient d’une dureté absolue.

Les évènements dramatiques qui se succèdent de 1936 à 1940 vont faire prendre un tournant définitif à la vie de Pierre Brossolette. Officier de réserve il participe à la campagne de France en 1940. Il échappe à la captivité et rentre à Paris. Son tempérament ne peut que le pousser à condamner le nouveau régime. Très tôt il cherche à trouver le chemin de la Résistance. Il s’engage au sein du réseau du Musée de l’homme, nébuleuse qui regroupe de nombreux intellectuels et qui édite le journal Résistance. Brossolette en devient naturellement le principal rédacteur. Il échappe à la chute du réseau et renoue les liens avec d’autres groupes avant de rencontrer le colonel Rémy, homme orchestre de la Confrérie Notre Dame, réseau de renseignement de la France Libre. Brossolette assure l’animation du bureau de presse et de propagande. Le régime de Vichy lui ayant interdit d’enseigner, il a acheté une librairie rue de la Pompe dans le 16e arrondissement de Paris. Mais l’étau se ressert de plus en plus autour de la librairie. Après avoir mis sa famille en lieu sûr, Pierre Brossolette décide en avril 1942 de rejoindre Londres. Il parvient à ses fins dans des conditions rocambolesques.
Il s’impose rapidement comme l’une des pièces maîtresses de la France Libre. Il est à la fois l’adjoint de Passy le chef du BCRA, un pourvoyeur d’idées nouvelles et un chroniqueur régulier de la BBC (il assure 38 interventions radiodiffusées). Son intervention lors de la commémoration de l’appel du général de Gaulle à l’Albert Hall le 18 juin 1943 reste gravé dans les mémoires. Il développe en particulier des idées très précises et nouvelles quant au retour des institutions politiques démocratiques après guerre. Ce débat l’amène à mettre en garde l’homme du 18 juin notamment dans un courrier qu’il lui adresse en 1943. Mais, c’est surtout l’occasion d’un affrontement très dur avec une autre pièce maîtresse de la France combattante : Jean Moulin. 

La confrontation porte sur la structuration de la Résistance intérieure et la présence ou non des partis de la IIIe République en leur sein. Ce qui oppose les deux hommes relève à la fois du style et du fond. De Gaulle tranchera finalement en faveur de la solution de Moulin. Cela n’empêche pas Brossolette d’apporter une contribution déterminante à l’unification en zone nord. Il a d’ailleurs encore fait le choix de l’action. À trois reprises il se fait parachuter en France. C’est lors du retour de sa troisième mission qu’il est pris un peu par hasard sur les côtes bretonnes. Identifié et finalement transféré au siège parisien de la gestapo, il est violemment torturé. Pour éviter de parler et échapper à ses geôliers, il se jette par une fenêtre de l’immeuble où il est détenu et décède dans la soirée du 22 mars 1944. Ainsi disparaît une des plus belles figures de la Résistance française. Les photographies présentées par l’auteur montre à quel point le combat a été rude. Le cheveux noir orné de sa mèche blanche caractéristique a laissé place fin 1942 à une chevelure plus sel que poivre. Le visage est marqué.
Dans cette biographie Eric Roussel dissèque de façon extrêmement précise la vie de Pierre Brossolette sans en cacher certaine aspérités. Son caractère parfois très abrupte lui a aliéné certaines amitiés. Mais ce qui ressort de ce portrait, ce sont à la fois son intelligence acérée, sa volonté sans faille, mais surtout sa lucidité et sa fidélité. Il a avant tout les autres vu les conséquences de la non intervention en Espagne, les conséquences des accords de Munich ou même les limites des idées du Général de Gaulle. Mais, il est resté d’une fidélité sans faille à Léon Blum et à l’homme du 18 juin. Il est également resté fidèle à ses idées, fruits de longues réflexions et de sa pratique, parfois en décalage avec le corpus de son parti, ce qui a d’ailleurs amené à son exclusion. Mesure non appliquée en raison de sa mort. Reste cette opposition entretenue entre deux ardents patriotes Brossolette et Moulin, certainement complémentaires : l’un fougueux et orateur, l’autre plus secret et pétri par l’organisation administrative républicaine. Une question travaille le lecteur : Nul ne sait quelle contribution auraient pu une nouvelle fois apporter ces deux êtres d’exception à l’issu de la guerre…

Christian Penot