Les premières répétitions ont eu lieu en 1938 dans un orphelinat juif de Prague. En 1942, Hans Kràsa, le créateur de cet opéra, est déporté dans le camp de concentration de Theresienstadt (Terezin) en Tchécoslovaquie et reconstitue son œuvre qui est interprétée par des enfants et adolescents du camp. Hans Kràsa et presque tous les participants à ces représentations seront exterminés à Auschwitz.


En mai 2015, une recréation de Brundibár a été proposée au théâtre de Caen, basée sur un travail éducatif rassemblant le théâtre de Caen, la Maîtrise de Caen, le Mémorial de Caen, l'Orchestre de Basse-Normandie, l’École supérieure d'arts & médias de Caen/Cherbourg, mais aussi une quarantaine de classes de primaire et de collège. Dans ce projet global, les enfants des écoles ont été amenés à rencontrer Rachel Jedinak prise dans la rafle du Vélodrome d'hiver à Paris, le 16 juillet 1942. En outre, des élèves de certaines écoles de Caen ont réalisé des courts métrages sur Brundibár ou sur la Shoah.

L’HISTOIRE
Aninka et Pepícek, orphelins de père, tentent de gagner quelques sous en chantant dans la rue, afin d’acheter du lait et des médicaments pour leur maman malade. Ils en ont eu l’idée en observant Brundibár, un joueur d’orgue de Barbarie, qui semble gagner beaucoup d’argent en jouant sa musique dans les rues. Mais l’affreux Brundibár, effrayé par cette concurrence, fait appeler un policier qui l’aide à chasser le frère et la sœur de la place publique. Heureusement, l’intervention magique de trois animaux va renverser la situation. Un moineau, un chat et un chien incitent en effet un groupe d’écoliers à prendre le parti d’Aninka et Pepícek contre Brundibár. Les animaux, quant à eux, entreprennent de s’agiter et de glapir autour de lui afin de le ridiculiser. Débarrassés de Brundibár, les deux petits peuvent alors chanter une douce berceuse. Émus, les passants leur donnent de l’argent. Brundibár tente alors de voler les pièces à Aninka et Pepícek, mais ceux-ci le rattrapent et il disparaît. Définitivement !

LE CONTEXTE HISTORIQUE / Theresienstadt
Dès 1941, les nazis installèrent, dans la petite ville de Theresienstadt, un camp, un immense ghetto-prison. Ils voulurent en faire une vitrine, un camp modèle où les prisonniers étaient, soi-disant, bien traités. Le ghetto sera utilisé par le Allemands pour démentir les « rumeurs » sur le sort tragique réservé aux Juifs. Mais Theresienstadt n’était en réalité qu’une étape avant les camps de la mort. De nombreux artistes, écrivains, chanteurs et compositeurs juifs y ont été concentrés. Les représentations et les concerts, autorisés pour créer l’illusion d’un camp modèle, étaient donnés malgré la faim et la peur. Continuer à jouer un instrument, à chanter, à dessiner constituait un acte d’espoir mais aussi un geste de résistance : une façon de conserver son identité et sa dignité.
Hamelin joueur de flûte

Le Joueur de flûte de Hamelipar Eduard Steigerwaldt (1869 - 1950), œuvre de 1946 qui évoque le sort des enfants victimes de la guerre et du nazisme. 

Coll. privée. 



LA CREATION
En tchèque, «Brundibár» désigne un bourdon, et, dans cette pièce, il s’agit d’un personnage méchant, qui «bourdonne» et agace les deux héros de l’histoire. Ce personnage est une représentation d’Adolf Hitler, que Kràsa voulait caricaturer lorsqu’il composa son opéra en 1938. Bien que composé avant la guerre, c’est en 1942 qu’eut lieu la première représentation, dans un orphelinat de Prague, en même temps que Kràsa était déporté à Theresienstadt. Presque tous les enfants du chœur original ainsi que tout le personnel de l’orphelinat furent déportés à leur tour. Seul le librettiste, Reidemeister, put s’échapper de Prague à temps. Le 23 septembre 1943, eut lieu la première de Brundibár à Theresienstadt. Il fut représenté 55 fois dans l’année qui suivit. Kràsa dut reconstituer de mémoire son opéra et l’adapter aux instruments disponibles dans le camp. Quant aux décors, ils furent peints sur des panneaux placés au fond des baraquements. Grâce à la musique, et malgré l’horreur de leur captivité, enfants et adultes reprenaient courage pendant quelques instants. La victoire contre le tyran Brundibár pouvait laisser espérer une délivrance possible.

Une représentation de Brundibár eut encore lieu en 1944 pour une visite du camp par la Croix-Rouge. Ainsi, pour l’occasion, le ghetto fut repeint et un grand nombre de détenus furent transférés au camp d’extermination d’Auschwitz pour donner une meilleure image du camp, atrocement bondé auparavant. Plus tard, l’opéra fut même filmé afin d’en faire un document de propagande nazi, pour continuer à faire croire à une vie agréable dans les camps de juifs. Quand les responsables du camp voulurent, au printemps 1945 monter une nouvelle fois l’opéra pour duper une autre commission, ils durent renoncer au projet. Il n’y avait plus assez d’enfants dans le ghetto.

L'opéra aboutit à la victoire des démunis solidaires sur un personnage tyrannique, égocentrique et cruel, mais ne fait pas directement référence au contexte historique. La réécriture de la pièce au camp comporte toutefois des sous-entendus implicites. Si, en 1938, le texte contient des notions de valeurs patriotiques et civiques, celles-ci sont effacées par la suite et remplacées par celles de justice et d’humanité. A plusieurs reprises, l’opéra a été joué devant les responsables nazis du camp. Ceux-ci ne ménageaient pas leurs applaudissements et n’ont pas perçu que la tyrannie et l’oppression hitlériennes étaient personnifiées par l’antipathique joueur d’orgue de Barbarie.                   

     Christophe Moreigne

Horreurs de la guerre

Eduard Steigerwalt

Les horreurs de la Guerre. 1945.